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Stratégie de l’Union européenne en matière d’hydrogène renouvelable : faut-il se montrer plus réaliste ?

Actualités - 27/08/2024
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Auteur(s): 
Jan De Mulder


Le 17 juillet, la Cour des comptes européenne (CCE) a publié un rapport relatif à l’approche de l’Union européenne pour l’utilisation de l’hydrogène renouvelable sur le marché de l’énergie.

En résumé, le rapport de la Cour des comptes européenne est axé sur trois aspects de la politique de l’Union européenne :

- les objectifs pour 2030 en matière de production et de demande d’hydrogène renouvelable sont trop ambitieux ;
- l’offre dépend de la demande et inversement, ce qui relève du problème de la poule et de l’œuf ;
- des risques menacent l’Union européenne sous la forme d’une diminution de la compétitivité des secteurs industriels clés et de l’émergence de nouvelles dépendances stratégiques.

Contexte


L’hydrogène peut être produit de plusieurs manières, par exemple à partir de l’eau en utilisant l’électricité (électrolyse) ou à partir du gaz naturel (en le réformant). L’hydrogène renouvelable, c’est-à-dire l’hydrogène produit à partir d’électricité renouvelable ou de biomasse, est un moyen de rendre l’industrie lourde de l’Union européenne respectueuse du climat. La stratégie de l’Union européenne en matière d’hydrogène (COM/2020/301) a été adoptée en 2020 et proposait des actions politiques dans cinq domaines : soutien à l’investissement, soutien à la production et à la demande, création d’un marché et d’une infrastructure de l’hydrogène, recherche et coopération et, enfin, coopération internationale. L’hydrogène est également une composante importante de la stratégie de l’Union européenne pour l’intégration du système énergétique (COM/2020/299).

Le paquet « Ajustement à l’objectif 55 » publié en juillet 2021 contenait un certain nombre de propositions législatives transformant la stratégie européenne en matière d’hydrogène en un cadre politique européen concret. Il prévoyait de fixer des objectifs pour l’utilisation de l’hydrogène renouvelable dans l’industrie et les transports d’ici à 2030 dans la directive sur les énergies renouvelables.
Il comprenait également un ensemble de mesures relatives au marché de l’hydrogène et du gaz décarboné, visant à soutenir la création d’une infrastructure d’hydrogène spécifique optimale et la mise sur pied d’un marché de l’hydrogène efficace. Cette nouvelle législation est entrée en vigueur respectivement en 2023 et en 2024. Ce cadre politique a été complété par deux actes délégués, formellement adoptés en juin 2023, qui s’appliquent à l’hydrogène renouvelable dans le cadre de la directive sur les énergies renouvelables. Le premier acte couvre les combustibles renouvelables d’origine non biologique et définit les critères applicables aux produits entrant dans la catégorie de l’hydrogène renouvelable. Le deuxième propose un schéma détaillé qui permet de calculer les émissions sur l’ensemble du cycle de vie de l’hydrogène et des combustibles renouvelables à base de carbone recyclé, afin d’atteindre le seuil de réduction des émissions de gaz à effet de serre fixé dans la directive. Un acte délégué sera encore proposé en 2024 pour calculer les émissions du cycle de vie de l’hydrogène à faible teneur en carbone. L’hydrogène renouvelable est toutefois synonyme de défis liés, par exemple à son coût de production et à la nécessité de disposer d’électricité et d’eau renouvelables. En 2022, l’hydrogène représentait moins de 2 % de la consommation d’énergie en Europe, l’essentiel de la demande provenant des raffineries.

Rapport de la Cour des comptes européenne

Selon la Cour des comptes européenne, la demande d’hydrogène renouvelable, qui devrait être stimulée, n’atteindra même pas 10 millions de tonnes d’ici 2030 et atteindra encore moins les 20 millions de tonnes initialement visées par la Commission. La Cour des comptes européenne estime par ailleurs qu’il n’existe actuellement aucune stratégie globale de l’Union européenne en matière d’importation de l’hydrogène. L’Union européenne n’a connu qu’un succès mitigé dans la mise en place des fondements du marché émergent de l’hydrogène renouvelable. Bien que la Commission européenne ait pris quelques mesures positives, l’ensemble de la chaîne de valeur de l’hydrogène reste confronté à de nombreux défis. Il est peu probable aussi que l’Union européenne atteigne ses objectifs pour 2030 en matière de production et d’importation d’hydrogène renouvelable. Les auditeurs de la Cour des comptes européenne appellent à une vérification à l’épreuve de la réalité afin de s’assurer que les objectifs de l’Union européenne sont réalistes et que ses choix stratégiques pour l’avenir n’érodent pas la compétitivité de secteurs clés ou ne créent pas de nouvelles dépendances.

L’hydrogène renouvelable ou hydrogène vert a des implications importantes pour les industries clés de l’Union européenne puisqu’il peut contribuer à les décarboner, en particulier dans les secteurs difficiles à électrifier tels que la sidérurgie, la pétrochimie, le ciment et les engrais. Il peut également permettre à l’Union européenne d’atteindre ses objectifs climatiques à l’horizon 2050, à savoir zéro émission de carbone et de réduire sa dépendance aux combustibles fossiles russes.

Cadre politique

La Commission a fixé des objectifs trop ambitieux pour la production et l’importation d’hydrogène renouvelable, censées atteindre chacune 10 millions de tonnes d’ici à 2030. Ces objectifs étaient dictés par une volonté politique, sans reposer sur une analyse rigoureuse. Leur réalisation a aussi connu des débuts difficiles : les ambitions divergentes des États membres n’étaient pas toujours alignées sur les objectifs et, lors de la coordination avec les États membres et l’industrie, la Commission n’a pas réussi à mettre toutes les parties sur la même longueur d’onde. D’autre part, la Cour des comptes européenne est satisfaite que la Commission ait conçu la plupart des actes juridiques en peu de temps : le cadre juridique est presque entièrement établi et a apporté une stabilité essentielle à la mise en place d’un nouveau marché. Il a cependant fallu du temps pour s’accorder sur les règles relatives à la définition de l’hydrogène renouvelable, et de nombreuses décisions d’investissement ont été reportées. La dépendance réciproque entre l’offre et la demande incite également les promoteurs de projets à repousser leurs décisions d’investissement.

Investissements

La mise en place d’une industrie de l’hydrogène dans l’Union européenne nécessite d’énormes investissements publics et privés. Or, la Commission ne dispose pas d’une vue d’ensemble complète des besoins ni des fonds publics disponibles. Par ailleurs, le financement de l’Union européenne (18,8 milliards d’euros pour la période 2021-2027 selon les estimations des auditeurs) est réparti entre plusieurs programmes et reste insuffisant. Cela ressort également des recommandations que la Renewable Hydrogen Coalition a publiées en juin dernier en vue de la deuxième enchère lancée dans le cadre de la Banque européenne de l’hydrogène. Les résultats de la première enchère ont donné lieu à 132 offres de projets en provenance de 17 États membres de l’Union européenne, dépassant de loin le montant prévu de 800 millions d’euros...

L’approche politique menée complique la tâche des entreprises qui cherchent à déterminer quel type de financement sera le mieux adapté à un projet donné. La majeure partie du financement de l’Union européenne est utilisée par les États membres comptant une part élevée de secteurs difficiles à décarboner, lesquels sont également les plus avancés en matière de projets planifiés (à savoir l’Allemagne, l’Espagne, la France et les Pays-Bas). Toutefois, rien ne permet encore de garantir que le potentiel de production d’hydrogène de l’Union européenne pourra être pleinement exploité. Il n’est pas certain non plus que les fonds publics disponibles permettront à l’Union européenne de transporter l’hydrogène vert sur l’ensemble de son territoire, depuis les pays ayant un bon potentiel de production vers les pays confrontés à une demande industrielle élevée.

Mise à jour

La Cour des comptes européenne appelle la Commission à mettre à jour sa stratégie de l’hydrogène sur la base d’une évaluation minutieuse de trois aspects majeurs : 1° comment calibrer les incitations du marché en faveur de la production et de l’utilisation de l’hydrogène renouvelable ; 2° comment attribuer prioritairement les fonds limités de l’Union européenne et sur quelles parties de la chaîne de valeur les concentrer ; et 3° quels secteurs l’Union européenne souhaite maintenir et à quel prix, étant donné les implications géopolitiques d’une production interne par rapport à des importations en provenance de pays tiers.

Sources :

  • Hydrogen (europa.eu)
  • Renewable Hydrogen Coalition | Renewable electricity is the best hydrogen strategy (renewableh2.eu)
  • European Hydrogen Bank - European Commission (europa.eu)