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Droit du travail, bien-être au travail et changements climatiques : une nouvelle génération de questions juridiques

Actualités - 08/03/2022
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Auteur(s): 
Geert Van Cauwenberge


Les changements climatiques sont un enjeu mondial qui impacte de nombreux domaines de la société, le droit du travail ne faisant pas exception. Ainsi, lors des conférences des Nations Unies sur le climat, mieux connues sous le nom de COP, il est question de ce que l’on appelle « les emplois verts ». L’Organisation internationale du Travail considère tout travail contribuant à la préservation de l’environnement ou du climat comme étant un « emploi vert ». Frank Hendrickx, professeur à la KU Leuven, s’est intéressé à l’aspect bien-être de ces « nouveaux » emplois.

Au vu de l’attention internationale croissante portée à l’agenda climatique, Frank Hendrickx, professeur de droit du travail à la KU Leuven et directeur de l’Instituut voor Arbeidsrecht, a publié un éditorial dans l’Arbeidsrecht Journaal sur le lien entre le bien-être au travail et les changements climatiques.

À l’heure actuelle, plusieurs autorités, tant nationales qu’internationales, se mobilisent de différentes façons en faveur du climat. Toutefois, la conscience climatique dépasse largement l’initiative des autorités, et les pratiques RH et la concertation sociale leur emboîtent le pas. Ce domaine relève du droit du travail et l’aspect « bien-être au travail » est lui aussi mis à l’honneur.

Frank Hendrickx : « Au terme de la dernière COP à Glasgow en novembre 2021, j’ai commencé à réfléchir, du point de vue de ma propre spécialité, en me demandant si cette problématique correspondait à ce que nous faisons et à ce que nous pensons, et quels aspects du bien-être au travail nous pouvions mettre en lien avec la problématique climatique. En tant qu’universitaire, j’entends mener une réflexion suffisamment créative avec mes collègues spécialisés dans d’autres domaines sur ce que le dossier climatique signifie pour nous. Toute personne préoccupée par le bien-être considère qu’il s’agit d’un enjeu important. Depuis la promulgation de la loi sur le bien-être au travail dans notre pays, le domaine du bien-être au travail évolue à grande vitesse et n’est plus rigoureusement délimité. Aujourd’hui, ce domaine s’étend aussi bien au bien-être physique, mental que social. D’où l’intérêt de faire le lien avec le climat. »

Du stress climatique à l’entrepreneuriat durable

Nous résumons ci-dessous les principales conclusions rapportées par le professeur Hendrickx dans son éditorial sur le bien-être au travail.
- La législation sur le bien-être veut instaurer un environnement (ou climat) sain et sûr dans l’organisation du travail. L’interprétation évolutive et potentiellement large du concept de bien-être a déjà été identifiée précédemment, par exemple par le lien établi entre le bien-être au travail et la santé publique au sens large. À cet égard, le lien avec le Covid-19 (et en particulier avec la médecine du travail) est vite établi.

- Au sens strict, on peut considérer la problématique du bien-être en se basant sur le bien-être physique. Dans ce contexte, la problématique climatique émerge rapidement. Pensons par exemple aux dispositions relatives à l’aménagement du lieu de travail, à la température sur le lieu de travail, à la qualité de l’air, à l’ozone… L’article V.1-1.-§1 du Code du bien-être au travail impose à l’employeur de réaliser une analyse des risques des ambiances thermiques d’origine technologique ou climatique présentes sur le lieu de travail. Cette analyse ne doit pas uniquement tenir compte de la température, mais aussi de la charge physique de travail et des vêtements de travail.

Stress climatique

Outre le bien-être physique sur le lieu de travail, le bien-être psychosocial devient de plus en plus une priorité. Des moments de crise imprévisibles, comme l’éclosion de la pandémie de Covid-19, génèrent aussi du stress dans les organisations du travail. Les évolutions technologiques quant à elles peuvent engendrer du technostress. Connaissez-vous le phénomène de stress climatique appelé aussi « solastagie » ? Il s’agit d’une forme de souffrance psychosociale qui n’est pas nécessairement induite par le travail, mais que l’on emporte avec soi sur son lieu de travail. Le moment est-il venu de reconnaître le « droit à l’émotion » sur le lieu de travail en tant que notion juridique ?

Professor Hendrickx : « Sur le plan juridique, il faudra de plus en plus tenir compte des manifestations du stress au travail. Nous devons en reconnaître la diversité. Le droit à ressentir des émotions émerge, et tout le monde doit pouvoir l’interpréter à sa façon. Avec le Covid-19, les gens ne se sentent souvent plus en sécurité au travail, et cela vaut aussi pour la problématique climatique. La littérature scientifique contient de plus en plus de descriptions du « stress climatique ». Ce phénomène s’inscrit par exemple dans la lignée du harcèlement au travail ou du comportement abusif. Une entreprise doit être suffisamment sûre et agréable. Le stress ne naît pas seulement au sein de l’entreprise, mais il y entre aussi par l’intermédiaire des personnes qui y travaillent. Les conseillers en bien-être vont devoir en tenir compte. »

Contrôle du mode de vie ?

Le bien-être au travail est souvent intimement lié à l’entrepreneuriat durable et au corporate branding. Cette tendance va assurément soulever de nouvelles questions juridiques. La politique des entreprises en matière de « vie saine », qui touche à l’exercice physique, au sport, à l’alimentation et/ou au port de fitbits, n’y est pas totalement étrangère. Cela nous amène à nous poser des questions sur la portée du droit d’autorité dans la relation de travail. C’est-à-dire sur la mesure dans laquelle un employeur peut contrôler des modes et des choix de vie individuels de membres de son personnel.

Une attention particulière pour les « nouveaux emplois »

C’est dans ce contexte que s’inscrit également l’avènement décisif des « nouveaux modes de travail » (new ways of working). Travailler « autrement » signifie donner plus d’autonomie et de (sens des) responsabilités aux travailleurs. Concrètement, il s’agit de télétravailler, de travailler dans des équipes plus horizontales ou autogérées dans des structures plus restreintes.

Le débat climatique sera un facteur clé décisif de cette nouvelle façon de travailler. Certains phénomènes seront littéralement « réinitialisés ». Ainsi, la mobilité est irrémédiablement liée à nos modes et à nos horaires de déplacements, et donc aussi au travail indépendant du lieu et de l’heure (qui fait partie des nouveaux modes de travail). La nouvelle façon de travailler sera également plus explicitement reliée à la « conscience climatique », tant sur les lieux de travail plus traditionnels qu’à domicile ou en déplacement. À l’avenir, les RH devront proposer une politique plus stricte, notamment en rapport avec l’empreinte écologique (du personnel également), la façon dont l’organisation gère l’énergie, la façon d’envisager la mobilité, les matériaux utilisés, la gestion des déchets, etc.

Autonomie et responsabilité

La nouvelle façon de travailler pose la question de l’interaction entre autonomie et responsabilité, entre confiance et contrôle. Cet aspect est également pertinent dans un contexte climatique. Il y a lieu de se demander si, dans l’organisation du travail, des accords climatiques peuvent aussi être soumis à un contrôle, voire à une discipline dans le cadre du droit disciplinaire du travail. Le droit d’autorité peut servir de base théorique juridique à cet égard qui est certes dépendante du règlement du travail. Toutefois, la question de savoir si on motive les gens ou si on les contraint dépend aussi de la finalité et des limites de ce droit d’autorité.

Professor Hendrickx : « Nous devons nous demander où se situent les responsabilités et l’autonomie de chaque individu dans une relation de travail. Cela vaut aussi pour la question climatique : un employeur peut définir des lignes directrices et vérifier si tout le monde le suit dans cette voie. Il est très probable que les travailleurs doivent renoncer un peu à leur liberté de choix individuels. Dans quelle mesure un employeur va-t-il contribuer à définir les choix que les gens posent pendant leur temps libre ? Il peut s’agir de choix en matière de mobilité, de la façon de dépenser son salaire (avec les écochèques ou le plan cafétéria comme exemples concrets) ou même de la façon de consommer, en s’attachant notamment à l’impact que cela aura sur l’environnement... Pour les juristes, on entre ici dans le débat de la liberté de disposition. Nous disposons à cet égard entre autres de la législation internationale sur la protection de la rémunération. La question climatique va-t-elle s’insinuer dans l’inventaire des composantes salariales ? Les citoyens doivent eux-mêmes consentir de plus en plus d’efforts pour le climat et en supporter le coût. Les employeurs ont ici une occasion de fournir un soutien, par exemple en proposant des outils de financement intéressants pour la rénovation d’un logement. Les entreprises peuvent le faire dans le cadre de leur « employer branding » et de leur RSE (entrepreneuriat durable). »

https://arbeidsrechtjournaal.be/arbeidsrecht-en-klimaatverandering-een-nieuwe-generatie-rechtsvragen/ (en néerlandais)