Après d’ultimes négociations marathons pendant la nuit de la Saint-Nicolas, le Conseil et le Parlement européen sont parvenus à un accord provisoire sur une proposition de légiférer en vue de limiter le risque de déforestation et de dégradation des forêts lié à des produits importés dans l’Union européenne ou exportés depuis celle-ci. Il ne reste plus aux deux institutions qu’à approuver le texte formellement.
L’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) estime que 420 millions d’hectares de forêts (une superficie plus vaste que l’Union européenne) ont disparu entre 1990 et 2020. La consommation de l’Union européenne représente quelque 10 % de la déforestation dans le monde, plus des deux tiers de celle-ci étant dus à l’huile de palme et au soja. Dans un rapport de 2021, le WWF a affirmé qu’en termes de commerce international, la part de l’Union européenne dans la déforestation mondiale s’élève à 16 % et occupe la seconde place, derrière la Chine.
La déforestation et la dégradation des forêts dans le monde ont plusieurs causes : expansion des terres agricoles, gestion non durable des forêts, extraction de produits de base et augmentation des incendies de forêt. Comme l’Union européenne est un gros consommateur de produits agricoles et autres produits de base, elle peut réduire sa contribution à la déforestation et à la dégradation des forêts dans le monde en faisant en sorte que les produits de base et les chaînes d’approvisionnement associées soient « zéro déforestation ».
Proposition de règlement
Le 17 novembre 2021, la Commission a publié une proposition de règlement se rapportant à la production des produits de base. L’exposé des motifs de ce texte mentionne que l’Union européenne ne dispose pas de règles spécifiques et efficaces pour diminuer sa contribution à la déforestation alors qu’elle est un important consommateur de ces produits. L’initiative vise également à réduire au minimum la consommation de produits issus de chaînes d’approvisionnement associées à la déforestation ou à la dégradation des forêts, ainsi qu’à accroître la demande et le commerce de produits (de base) « zéro déforestation » dans l’Union.
Le premier article de la proposition de règlement en délimite le champ d’application à l’aide d’une définition des produits de base en cause (c’est-à-dire les bovins, le cacao, le café, l’huile de palme, le soja et le bois) et des produits en cause (à savoir ceux énumérés à l’annexe I, qui contiennent les produits de base en cause, qui ont été fabriqués à partir de ceux-ci ou qui proviennent d’animaux alimentés avec ces produits), auxquels le règlement s’appliquera. Il précise également que le règlement s’appliquera à la mise sur le marché de l’Union de ces produits (de base) et à leur mise à disposition sur ce marché, ainsi qu’à leurs exportations au départ de l’Union européenne.
Le Conseil a adopté son orientation générale le 28 juin 2022. Le 13 septembre, ce fut au tour du Parlement européen de prendre position dans ce dossier. Il entendait entre autres élargir le champ d’application en y ajoutant la viande de porc, les ovins et les caprins, le maïs et le caoutchouc, de même que le charbon de bois et le papier imprimé. Il voulait aussi imposer des exigences supplémentaires aux institutions financières afin de s’assurer que leurs activités ne contribuent pas à la déforestation.
Pour quels produits ?
Comme d’habitude, le Parlement n’a pas obtenu tous les durcissements qu’il souhaitait. Le texte fixe des exigences en matière de diligence pour tous les opérateurs et commerçants qui mettent sur le marché de l’Union européenne, y mettent à disposition ou exportent depuis l’Union européenne les produits de base suivants : huile de palme, viande bovine, bois, café, cacao, caoutchouc et soja.
Les exigences s’appliquent aussi à divers produits dérivés tels que le chocolat, les meubles, le papier imprimé et certains dérivés à base d’huile de palme (qui sont utilisés, par exemple, comme composant de produits de soins).
La Commission se donne deux ans pour évaluer la nécessité d’intégrer davantage de produits dans l’accord. Cela concerne également l’intégration potentielle du secteur financier. Le Conseil s’est opposé à l’ambition du Parlement de rendre le règlement aussi applicable aux banques, assureurs et investisseurs.
La Commission examinera par ailleurs si le règlement peut être élargi à d’autres écosystèmes naturels présentant des stocks importants de carbone et ayant une grande valeur sur le plan de la biodiversité, comme les tourbières, les zones humides et les savanes.
La date butoir pour l’application des nouvelles règles est fixée au 31 décembre 2020. Cela signifie que seuls les produits issus de terres n’ayant pas fait l’objet d’une déforestation ou d’une dégradation des forêts après le 31 décembre 2020 (et pas 2019 comme le souhaitait le PE), pourront entrer sur le marché de l’Union ou en sortir.
Définitions
Le texte donne de la déforestation une définition qui repose sur celle formulée par la FAO. Selon le communiqué de presse du Conseil, la définition de la dégradation forestière est innovante et désigne les changements structurels du couvert forestier prenant la forme de la conversion des forêts naturellement régénérées et des forêts primaires en forêts de plantation ou en autres terres boisées, et de la conversion des forêts primaires en forêts plantées.
Obligations d’information
Le règlement prévoit de strictes obligations de diligence pour les opérateurs. Les entreprises devront collecter les coordonnées géographiques précises des terres agricoles sur lesquelles ont été produits les produits de base qu’elles ont utilisés, afin que l’on puisse en vérifier la conformité à toutes les règles. Bien entendu, le monde économique met en doute la faisabilité de cette exigence. Dans le même temps, les nouvelles règles éviteraient les obligations redondantes et allégeraient la charge administrative pour les opérateurs et les autorités. Les petits opérateurs se voient aussi donner la faculté de compter sur des opérateurs plus grands pour rédiger les déclarations de diligence.
Pays à risque
Le texte prévoit un système d’évaluation comparative qui attribue aux pays tiers et à ceux de l’Union européenne un niveau de risque (faible, standard ou élevé) en matière de déforestation et de dégradation forestière. La catégorie du risque détermine le niveau des obligations spécifiques incombant aux opérateurs et aux autorités des États membres quant aux inspections et contrôles à effectuer. La surveillance des pays à risque élevé s’en trouvera améliorée et des obligations de diligence simplifiées pourront être définies pour les pays à faible risque. Il n’est guère surprenant que la quasi-totalité des grands partenaires commerciaux hors de l’Union européenne comme le Canada et le Brésil, ainsi que les multinationales des matières premières, aient mené un intense lobbying pour édulcorer ce texte. Le règlement implique que les autorités compétentes soumettront à des contrôles 9 % des opérateurs et commerçants commercialisant des produits issus de pays à risque élevé, 3 % de ceux issus de pays présentant un risque standard et 1 % de ceux provenant de pays à faible risque, afin de vérifier s’ils se conforment effectivement aux obligations arrêtées dans le règlement. Par ailleurs, les autorités compétentes pratiqueront des contrôles sur 9 % de la quantité totale de chacun des produits (de base) pertinents que des pays à risque élevé mettent sur leur marché, mettent à disposition ou exportent.
Droits humains
Le texte exige aussi qu’il soit tenu compte d’aspects des droits de l’homme ayant un lien avec la déforestation, dont le droit des peuples autochtones au libre consentement préalable et éclairé. Au sein de l’Union européenne, la Suède s’est opposée à cette disposition. La sylviculture est un secteur important pour son économie, elle procure du travail à 115 000 personnes et fait du pays le troisième exportateur mondial de pâte à papier et de papier. En expansion, l’industrie sylvicole suédoise s’approprie de plus en plus de terres gérées par des Samis sans que ceux-ci en soient les propriétaires. Il s’ensuit des conflits locaux au retentissement international. En 2020, le Comité de l’ONU pour l’élimination de la discrimination raciale a ainsi dit que la Suède n’avait pas respecté ses obligations internationales de mener une consultation adéquate ou effective de la communauté sami locale avant d’accorder des concessions d’abattage et d’exploitation minière. Ces concessions menacent la source de revenus du peuple sami, car elles entraînent une baisse de la quantité de lichens, une importante source de nourriture en hiver pour les troupeaux de rennes gérés par les Samis.
Application
Le texte maintient les dispositions concernant des sanctions effectives, proportionnées et dissuasives et une collaboration plus étroite avec des pays partenaires, telles que proposées par la Commission. La proposition mentionne qu’il convient de fixer des amendes proportionnelles aux dommages environnementaux et à la valeur des produits de base ou produits en cause, dont le montant peut représenter jusqu’à 4 % du chiffre d’affaires des opérateurs dans l’Union européenne. Elle prévoit aussi la possibilité d’une exclusion temporaire des procédures de passation de marchés publics et d’accès aux financements publics.
À dater de l’entrée en vigueur du règlement, les opérateurs et les commerçants ont dix-huit mois pour mettre en œuvre les nouvelles règles. Une période de transition plus longue et d’autres dispositions spécifiques sont prévues pour les microentreprises et petites entreprises.
Au niveau international, l’Union européenne renforcera son engagement. Tant dans un cadre bilatéral, avec des pays producteurs et consommateurs, que dans des enceintes multilatérales pertinentes, elle veillera à ce que ce nouvel acte communautaire soit effectivement mis en œuvre et elle assistera les pays producteurs si nécessaire.
Cet important accord politique a été dégagé juste avant le début, le 7 décembre, de la Conférence de Montréal sur la biodiversité (COP15).
Plus d'information sur senTRAL :
Nouvelle législation de l’Union européenne pour lutter contre la déforestation mondiale
Sources :